La Ville au Cinéma
Valéry Larbaud
disait, poétiquement : « J’ai des souvenirs de villes comme on a
des souvenirs d’amours ».
De belles
paroles pour évoquer l’espace urbain, tour à tour théâtre, champ de bataille et
de révolte, la scène de nos vies.
Depuis le début
de son existence, le cinéma a su utiliser la ville comme décor ou personnage.
Les Frères Lumière surent capter une époque à travers leurs premiers films,
Lyon tout d’abord, puis les grandes cités du monde. Les œuvres réalisées sont
autant de richesses patrimoniales et cinématographiques.
Au fil des années
et de son histoire, le cinéma a placé la ville au centre de l’intrigue, un
véritable personnage à part entière comme dans les films de Chaplin, D.W.
Griffith, Renoir.
A travers
quelques œuvres, je vais essayer de montrer quels rôles la ville a joué, quelle
force elle a apportée aux films, comment elle est évoquée.
La ville au
cinéma se résume souvent à l’idéal d’un personnage, l’endroit où il
s’épanouira, aura du succès, réalisera ses rêves les plus fous.
Mais les films
les plus forts ont utilisé et utilisent la ville pour montrer non pas son côté
édulcoré mais plutôt sa réalité, belle ou non.
La Haine, de Mathieu Kassovitz, nous a offert une plongée dans les abysses, une
banlieue isolée de Paris par un réseau urbain dense, un monde en marge de la
ville phare de la France. Les sons, amplifiés, durs, nous entraînent
plus loin dans ce monde si réel mais pourtant peu connu. Paris devient une cité
quasi inaccessible, une ville dans laquelle ils errent mais dont ils ne font
pas partie. La rage pour y accéder semble vaine et après un long périple, le
retour à la réalité est brutal, mortel même sur le bitume de cette banlieue.
On peut
rapprocher ce film d’autres évoquant aussi l’errance d’un héros dans une grande
ville, tel que Taxi Driver, de Scorsese, Fiona,
d’Amos Kollek et plus récemment The
25th Hour de Spike Lee.
Dans chacun d’eux, le
personnage principal erre dans un New York agité, vivant, à la recherche de
lui-même, seul. Dans cette ville, Big Apple, qui
cristallise les rêves de beaucoup de gens, les âmes errent. Spike
Lee a mis en avant le côté post-11 septembre, inédit, ajoutant ainsi à son film
une force indicible, émouvante. Les blessures ouvertes de New York sont
montrées sans pathos inutile, juste une lumière et un regard, ce qui rend quelques
scènes hypnotiques, magnétiques. La caractère
cosmopolite de cette ville devient soudainement étouffant pour le personnage
principal qui déverse sa rage dans une tirade mémorable devant la glace des
toilettes, mais c’est une rage contre lui-même qui l’étouffe.
Récemment, Lost In Translation, de Sofia Coppola, a
mis également en avant l’errance de deux personnages dans une grande métropole,
en l’occurrence Tokyo, ville peu filmée par le cinéma occidental.
Dans ce dédale
de ruelles illuminées par les néons agressifs des grandes marques de
consommation, les deux âmes errent, se trouvent et s’aiment. Puis, lorsque le
rêve est terminé, Tokyo s’éteint avec cet amour et n’en est que plus attirant.
Comme une part du monde que l’on ne peut comprendre…
Certaines
œuvres ont pris le parti radical de « dénaturer » la ville et de la
modeler pour que le décor soit plus qu’un personnage du film.
Dogville de Lars Von Trier, a pris
cette direction en « effaçant » tous les repères matériels d’une
ville afin que nos regards se tournent vers l’intrigue seulement. La ville se
résume à quelques éléments de décors, chaises, bancs, des dessins à la craie
blanche à même le sol d’un hangar sombre. Malgré la vision déconcertante de cet
environnement, très vite l’illusion marche et l’on oublie que la porte qui
claque n’existe pas, tout comme ce chien qui aboie n’est qu’une esquisse à la
craie.
The Truman Show utilise également ce concept de ville
fictive, mais d’une manière différente. Car la ville existe, ses rues, ses
voitures, entreprises, routes et jardins sont bien réels. Mais tout n’est
qu’une illusion, un immense plateau de télévision où se joue le spectacle de la
vie d’un homme depuis sa naissance, un acteur malgré lui. Tout est factice,
sauf pour cet homme. Il échappera à cette prison malgré les obstacles,
naviguant sur cette mer au ciel si bleu, quittant « sa » ville pour
le monde réel.
Une autre
ville, fréquemment filmée au cinéma, Las Vegas, connaît des destins divers.
Martin
Scorsese, à travers l’éblouissant Casino, l’a filmé comme on film une
femme fatale.
Tout d’abord,
la lumière, les néons, tout cet environnement quasi-irréel, nerveux, passionné,
dans lequel Ace Rosthein, fabuleux De Niro, règne, pour le meilleur et le pire.
Puis drogues,
alcool, mafia s’insèrent dans l’histoire. Tout le brillant, le rêve, devient le
clinquant, le faux.
La descente aux
enfers des personnages s’achève par la mort, l’isolement, la destruction de
casinos mythiques comme pour éradiquer une partie du mal de la ville. Mais
personne n’est dupe. Las Vegas, la ville mythique, n’est que l’oasis pécheresse
de l’Amérique, au milieu de ce désert du Nevada, hostile.
Quelle soit
futuriste, comme dans Le Cinquième Elément et bien d’autres films
encore, féerique comme dans Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain ou Abyss, douloureusement réelle comme la vie
elle-même, la ville au cinéma n’est pas seulement un élément du décor, du
carton pâte, c’est aussi un personnage principal de chaque film, élément
vivant.
La vie est un
théâtre dont les hommes sont les acteurs. La ville est leur scène. Chaque jour,
trois coups résonnent, le rideau rouge, flamboyant, s’ouvre et la vie suit son
cours, à travers ses bruits, ses images et ses lumières. Applaudis, hués,
respectés ou haïs, il restera toujours les hommes et leurs villes.
Rideau.
Arnaud Meunier